Église et IVG : source : Journal La Croix

« Dans ce combat si délicat, certains auront oublié que la vie n’est pas une idéologie »

Par le Père Louis-Marie Guitton Prêtre du diocèse de Toulon

Le père Louis-Marie Guitton revient dans ce texte sur l’attitude de l’Église vis-à-vis du sujet délicat de l’IVG, alors que députés et sénateurs réunis en Congrès ont inscrit dans la Constitution la liberté d’avorter. Il propose que, avant de prendre telle ou telle posture, les catholiques demandent pardon, en particulier pour leurs « indifférences complices » et leurs « calculs mesquins ».

L’inscription de la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution vient d’être votée par le Congrès. Alors que ce « moment historique » est salué par des cris de victoire, le temps est peut-être venu d’une vraie demande de pardon.

Pardon pour les violences masculines. En filigrane, derrière l’IVG, se profile en effet la longue liste de blessures féminines liées aux relations avec les hommes : coups, viols, violences, abandon, mépris, mensonge, trahison… La relation homme-femme est abîmée et souvent douloureuse ; qui s’en soucie autrement que pour mener une lutte idéologique acharnée, sans effet sur ces cicatrices jamais refermées ?

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Un pardon n’est-il pas nécessaire de la part des hommes vis-à-vis de toutes ces femmes qui se sont senties meurtries et humiliées au plus profond d’elles-mêmes ? En effet, le temps ne suffit pas à effacer la trace d’événements qui ont marqué durablement ces vies de leur empreinte. Une démarche est nécessaire pour guérir, apaiser et consoler. Où sont les hommes qui se lèvent pour exprimer un regret, un repentir, un mouvement de compassion ?

Indifférences complices

Pardon pour l’absence des pères. Un autre pardon s’impose : dans l’IVG, l’homme autant que la femme est en cause : ce n’est jamais tout à fait un « acte solitaire ». Si on en a fait un « droit fondamental », il est malheureusement souvent le reflet d’une démission de l’homme. Il aurait dû être un soutien… il était absent. Combien de femmes ne se seraient pas résignées à cette issue si elles n’avaient pas été laissées seules face à ce choix ? Comment ne pas penser à tous les chantages et les ultimatums pathétiques auxquels elles ont été soumises, les menaces et les pressions auxquelles il leur a fallu faire face ? Combien d’hommes pour prendre leurs responsabilités et demander aujourd’hui pardon ?

Pardon pour les indifférences complices. Il ne se passe pas un jour sans que nous soyons rappelés à notre devoir de solidarité. Solidaires… nous l’avons si peu été avec les femmes « confrontées à une grossesse non désirée ». Comment en sommes-nous arrivés à laisser croire que l’IVG était l’unique choix possible face à une situation de détresse ? Il est bien rare que l’on propose une alternative à la femme qui se pose la question. Sommes-nous devenus aveugles à ce point pour refuser de regarder en face les blessures profondes et durables liées à ce drame ? La femme n’est-elle pas aussi victime de l’IVG ? Combien de souffrances muettes n’avons-nous pas causées par nos silences complices ? Ne sommes-nous pas face à des souffrances d’autant plus vives qu’on n’ose pas les nommer ?

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La question de l’immigration se pose de manière cruciale aujourd’hui, et les chrétiens ont bien du mal à l’appréhender. Quand se présente celui qui n’était pas invité, ou tout simplement pas attendu, l’Évangile parle plutôt de lui faire une place que de le renvoyer ou de le supprimer… Ne faudrait-il pas envisager la question de l’enfant à naître de la même manière ? Quand l’enfant est là, il n’est ni un risque ni un agresseur, mais tout simplement comme un étranger à accueillir…

Les calculs mesquins
Pardon pour les défenses indiscrètes de la vie. S’il faut demander pardon, il ne faut pas oublier les scandales qui ont pu être provoqués par une défense indiscrète de la vie… Dans ce combat si délicat, certains auront oublié que la vie n’est pas une idéologie. On peut vouloir sensibiliser les consciences et alerter sur la gravité des atteintes contre l’enfant encore dans le sein de sa mère, mais sans jamais blesser les personnes. La diffusion d’images de fœtus avortés, les invectives lancées à la face des militants de l’IVG ou autres campagnes tapageuses n’ont sans doute pas fait beaucoup avancer les choses. Pour toutes les initiatives qui n’ont pas respecté suffisamment les personnes, une demande de pardon s’impose. L’attention portée aux personnes, l’accompagnement et l’écoute, de même que toutes les initiatives qui tendent à montrer la beauté et la dignité de toute vie humaine seront toujours plus fécondes que la dénonciation du mal par l’exposition de sa laideur.

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Pardon pour les calculs mesquins. Comment en sommes-nous arrivés à ne plus pouvoir nous réjouir du don précieux de la maternité, lorsque la naissance de l’enfant n’est plus toujours vue comme un « heureux événement », lorsque certains vont jusqu’à faire rimer maternage et esclavage ? Pourquoi ne pas reconnaître que la grossesse peut impliquer une vraie précarité, que les femmes n’ont souvent pas le salaire qui leur permettrait un vrai choix ? Il s’agit de faire en sorte que la maternité ne soit plus synonyme de déclassement social, de marginalisation et d’inefficacité. Si les femmes n’ont pas les enfants qu’elles voudraient, c’est aussi parce qu’on ne leur donne pas la possibilité de les accueillir.

La voix résignée de l’Église

Pardon pour les silences ecclésiaux. Depuis 1975, la voix de l’Église s’est parfois faite discrète, résignée. Était-ce le temps des « chiens muets » ? Était-ce la peur de paraître dépassés par l’évolution inéluctable des mœurs ? Était-ce le souci de plaire au monde ? Ces silences sont eux aussi coupables, qui ont laissé les fidèles bien seuls. La défense de la vie par certains a été considérée comme une obsession ou une lubie, en tout cas le signe d’un repli identitaire moralisant. Le pape François, sans en faire un refrain, a eu des mots extrêmement fermes pour dénoncer « un mal absolu ». Il affirme que « la défense de la vie à naître est intimement liée à la défense de tous les droits humains. Elle suppose la conviction qu’un être humain est toujours sacré et inviolable, dans n’importe quelle situation et en toute phase de son développement… Ce n’est pas un progrès de prétendre résoudre les problèmes en éliminant une vie humaine ».

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Pardon pour les divisions coupables. Le dernier pardon à demander est très lié au monde catholique français. Les plus mobilisés sur la question de la vie sont aussi les plus divisés, chacun pensant que l’unité devra se faire autour de sa propre initiative. Les tenants de l’action politique ignorent parfois les associations de terrain, qui ont choisi l’engagement auprès des personnes. Celles-ci au contraire critiquent les marches ou autres démonstrations publiques, qui seraient inutiles et contre-productives.

Il y a enfin ceux qui considèrent que ce n’est jamais le moment de parler de cette question, que l’Église n’en a ni la légitimité ni les compétences. Mais s’il faut attendre d’être irréprochable pour nous exprimer, nous risquons fort de ne plus rien dire sur aucun sujet. Humblement, conscients de nos limites et de nos contre-témoignages toujours possibles, nous ne pouvons pourtant pas nous réjouir de voir l’IVG devenu une « liberté garantie » par la constitution de notre pays, liberté que certains considèrent comme un droit.

Puisque c’est possible

La loi Veil fut votée en 1975 sur un déni et un refus. 50 ans après, 86 % des Français souhaitent l’inscription dans la constitution de ce droit à l’avortement. Cette quasi-unanimité n’est-elle pas le signe du recul de l’espérance devant la pulsion de mort qui ronge de plus en plus nos contemporains ?

 Dans nos sociétés post-modernes, le droit n’est plus l’objet de la justice comme le définissait, déjà, Aristote au IVème siècle avant Jésus Christ. Il est devenu la liberté de faire tout ce que je veux, tout ce qui me plait, à condition de ne pas nuire aux autres. La limite de mon droit n’est plus que le respect de la liberté de l’autre, l’État n’étant plus là que pour arbitrer entre les exigences contradictoires des uns et des autres, dans un équilibre toujours précaire. Ainsi ce sont multipliés les droits dit sociaux ou sociétaux comme le droit à l’avortement, le droit au suicide, le droit au mariage pour tous, le droit de se choisir un genre distinct du sexe biologique.

Evidemment, si mon droit s’arrête où commence le droit de l’autre, le droit à l’avortement pose un problème à la conscience, même moderne. Comme disait le professeur Lejeune au moment des débats sur la loi Veil, aussi petit soit-il, Tom Pouce, ce futur adulte, est là dans le ventre de sa mère. Or si Tom pouce est là, il a droit à la vie et le supprimer a des airs d’homicide. Que quelqu’un décide d’arrêter l’existence d’un homme ou d’une femme à quelques jours de gestation ou après des dizaines d’années de vie ne change rien à la question : c’est toujours la même personne, le même unique destin, le même Tom Pouce qu’on tue. Bien entendu, c’est inacceptable, même pour la conscience moderne pour laquelle demeure l’interdit du meurtre. Il a donc fallu, pour voter la loi Veil, installer l’opinion, qui soit dit en passant, ne demandait que cela, dans un double refus.  

Déni d’humanité

Le premier consiste à nier, contre toute évidence scientifique, que Tom Pouce soit une personne humaine. Ce serait juste un amas de cellules. Dans les tout premiers jours de son existence, il est vrai, Tom Pouce n’est pas très grand. Il n’est pas très difficile de prétendre qu’il n’est pas encore capable d’opérations cognitives complexes. Les semaines et les mois passant, cela devient moins crédible. Quand il a dépassé le stade du zygote, qu’il arrive au stade du fœtus et surtout quand il est parvenu, après trois mois, au terme de l’organogénèse, il devient plus compliqué de nier l’évidence que c’est un petit humain ; d’autant que les échographies nous le montrent si mignon…

Pour se maintenir dans le déni, l’opinion écoute alors de doctes philosophes et parfois même des théologiens. Ceux-ci lui expliquent que la personne n’existe que quand elle entre en relation. Ils évitent au passage de s’interroger pour savoir si Tom Pouce n’est pas déjà en relation avec sa mère, et elle avec lui. Mais peu importe : puisque celle-ci ne veut pas le garder et le reconnaitre comme son fils ou sa fille, Tom Pouce est déclaré inapte au statut de personne humaine.

Et c’est ainsi que la quasi-totalité des françaises et des français considère qu’en aucun cas l’avortement ne transgresse une des lois primordiales de la conscience humaine : « tu ne tueras pas ».

Refus de souffrir
Laissons de côté l’aspect devenu dominant de cette transgression, celui d’une liberté absolue qui, ne se souciant plus de celle des autres, se conçoit désormais sans limite (ici : « je fais ce que je veux de mon corps ») dans une société devenue fondamentalement libertaire ; et tenons-nous-en dans cet article à la justification affichée par les promoteurs de l’avortement à l’origine, à savoir la question de la souffrance. La loi Veil a été votée en invoquant la souffrance de la femme confrontée à une grossesse non désirée, voire infligée par violence. Impossible de nier que les « faiseuses d’ange », comme on les appelait, laissaient, quand elles n’en mourraient pas, des femmes physiquement et moralement meurtries par des actes d’une barbarie sans nom.

Le thème principal de ceux qui soutenaient, à l’époque, la loi Veil était donc de dire, « entre deux maux choisissons le moindre ». Il est vrai qu’entre un avortement dans des conditions d’insalubrité et de manque d’hygiène quasi-totale et un avortement dans un bloc opératoire, il est possible de comprendre qu’une femme dans une très grande détresse physique, morale ou sociale choisisse la clinique que lui proposait la loi Veil plutôt qu’un cabinet occulte. Il ne vient non plus à l’idée de personne de dire qu’une jeune fille de 16 ans qui attend un enfant ne s’engage pas dans une vie difficile pour elle-même et son enfant. Même les moralistes les plus vétilleux reconnaissent que l’avortement est un drame humain avant d’être objectivement une faute morale.

Pour autant, ce refus de la souffrance peut-il être érigé comme une sorte de droit ? Aurais-je le droit, à tout prix, de ne pas souffrir ? Certains aimeraient s’en persuader.  

Personne ne nie que la lutte contre la souffrance soit légitime. Mais personne ne peut faire de la lutte contre la souffrance un absolu ou une fin en soi. Les moyens utilisés ne doivent pas être pire que le mal auquel ils cherchent à porter remède. Sinon la lutte contre la souffrance devient une valeur supérieure à la promotion de la vie. Or c’est ce qui semble arriver. Nos sociétés cherchent désespérément à chasser, sans y parvenir, la souffrance de la vie et, quand elles n’y parviennent pas, elles préfèrent sacrifier la vie.

Souffrir est devenu le mal absolu.

Nos sociétés ont oublié que la souffrance, qui reste un mal, peut avoir un sens, et parfois même être source de rédemption. Mourir pour sa patrie en est un exemple. Porter une vie, l’accueillir quoi qu’il en coûte, en est un autre qui n’est pas moins grand.

Mettre un enfant au monde restera toujours un pari sur la vie ; ce sera toujours croire que le don de la vie est plus grand que la souffrance, la maladie ou la mort. Dans le journal La Croix, Mgr Pascal Wintzer, il y a quelques jours, écrivait à propos du droit à l’avortement et de la loi sur la fin de vie que « l’élan vital a déserté notre époque, singulièrement les Français…  La mort semble plus protégée que la vie n’est encouragée. On a dès lors la tentation de penser que tout cela appartient à une seule et même logique qui fait taire toute espérance en la vie, en la promesse de futur qu’elle offre. » Et il concluait « Aujourd’hui comme hier, l’espérance comme la vie, sont des sports de combat. Il ne s’agit pas de combattre contre les autres, mais contre soi-même et la tentation de baisser les bras, de ne plus croire l’action humaine porteuse de fruits. »[1]

Comment s’étonner que, dans ces conditions, 86 % des Français souhaitent inscrire la loi Veil dans la constitution. Un « droit », fondé sur un refus en forme de déni généralisé : celui de reconnaitre que le tout petit, bien ou mal portant, est déjà porteur de l’immense richesse d’amour que possède le moindre être humain à sa naissance.

Un déni qui s’accompagne du refus, largement partagé, de croire que l’espérance peut triompher de la souffrance et que l’amour est toujours plus grand que le mal. Cet aboutissement est parfaitement logique dans une société où nul ne supporte plus aucune frustration d’aucune sorte.

Ainsi la France va sanctuariser dans la constitution sa peur de la vie et de la souffrance. Cette sanctuarisation permettra au Conseil Constitutionnel de poursuivre plus facilement en justice ceux qui refusent, au nom de la clause de conscience, de pratiquer des avortements afin de les y contraindre. Attendons-nous aussi à ce que, selon la même logique, il en soit de même pour l’euthanasie et le suicide assisté : érigés en un « droit à… », il deviendra obligatoire d’y concourir pour tout praticien. Selon le Garde des Sceaux, en inscrivant le droit à l’avortement dans sa constitution la France serait « porteur des valeurs universelles ». En réalité c’est à ses peurs et à la pulsion de mort qui les alimente qu’elle donne une portée universelle. Notre société est en train de devenir suicidaire.

Thiery Boutet

[1]https://www.la-croix.com/a-vif/ivg-euthanasie-mgr-wintzer-la-mort-semble-plus-protegee-que-la-vie-n-est-encouragee-20240228